Pourquoi la France d'en haut est anti-russe

Philippe Brindet - 29.05.2017

Le jour de la visite de Poutine en "Macronie", un quotidien publiait un article intitulé "Pourquoi la Russie divise l'intelligentsia française" et la journaliste y écrivait :

L'attraction-répulsion qu'exerce la Russie de Vladimir Poutine sur les intellectuels français ne saurait se résumer à des postures entre «droits-de-l'hommistes» et «réacs», mais puise sa source dans une longue opposition entre «slavophiles» et «occidentalistes».

Je ne suis pas certain de toujours comprendre correctement ce que les journalistes et autres membres de la France d'en haut publient, mais je crois que l'on se trompe ici.

On peut en effet trouver trop sommaire l'opposition entre "droits-de-l'hommiste" et "réacs". Mais, je ne vois pas bien ce que vient faire la vieille opposition entre slavophiles et occidentalistes, opposition qui n'existe qu'en Russie et, s'il en existe encore, une émigration russe qui ne serait pas encore rentrée au pays après l'effondrement de l'Union soviétique. Et encore. Pas très au fait de la vie culturelle intime de la Russie, j'ai cependant la pénible impression que ce débat est totalement dépassé en Russie et qu'il n'évoque strictement plus rien en France, sauf à quelques vieux érudits spécialistes de la littérature russe du XIX° siècle - Tolstoï , Dostoyevsky, notamment..

La slavophilie n'a plus strictement aucune espèce d'intérêt - sauf historique - pour deux raisons.

La première raison est que le slavophilisme exige une homogénéité culturelle affirmant une russitude contre l'agression extérieure que ce soit celle des Mongols, des Tartares, que celle des suédois ou des polonais. Or, la Russie moderne a été façonnée par 75 ans d'internationalisme qui a mélangé à l'aide des massacres léninistes et du goulag stalinien les peuples de toutes origines amenant des Tchétchènes, des Kazaks, des Finnois, des Estoniens, et une foule d'autres peuples de façon à ruiner la russitude. Le communisme a tenté de fondre tous ces peuples dans un homo sovieticus qui a disparu avec les efforts d'adaptation de Gorbatchev et la vente à l'encan de l'héritage soviétique par Boris Eltsine. Il n'y a guère qu'en France que le mensonge d'un peuple gaulois fonctionne avec des populations en réalité amalgamées par la guillotine révolutionnaire. En Russie d'aujourd'hui, le peuple "russe" n'a aucune chance de fonctionner comme celui de la slavophilie du XIX° siècle, parce qu'il n'y a plus de russes indépendants.

Mais, il y a une seconde raison. C'est que, malgré une vitalité improbable, le christianisme n'a pratiquement plus aucune réalité dans la population russe. Seule l'orthodoxie dispose encore d'un créneau du temps historique pour restaurer une civilisation chrétienne en Russie. Et on verra plus loin que c'est peut être là le noeud du problème principal de la France d'en-haut quand elle regarde d'en haut - et il lui faut pour cela monter sur la galerie des glaces pour y croire elle-même - regarder d'en haut donc la Russie de Poutine.

Or la slavophilie n'a d'existence que si le peuple russe est profondément chrétien, et chrétien orthodoxe, et orthodoxe russe. Russe, il peut l'être encore. Orthodoxe, il peut le redevenir. Mais il a besoin de temps. Et chrétien, nous ne savons pas ...

En réalité, l'animosité de la France d'en-haut à l'encontre de la Russie de Poutine tient essentiellement à la géostratégie américaine.

Ne croyez pas un instant que cette géostratégie soit conçue et ordonnée par un Président fut-ce Trump, Obama ou Bush. Ni par aucun autre. La géopolitique américaine est conçue et imposée par un complexe militaro-universitaire qui utilise essentiellement la presse pour formater une opinion publique "mondiale". Et l'intelligentsia française - la France d'en-haut si vous préférez - n'a pas d'autre mission que d'imposer cette géopolitique dans l'opinion publique française. Le rayonnement de notre intelligentsia, la mission de la France d'en-haut, s'arrête là.

Et si vous lisez la presse américaine - New York Times et Washington Post - vous y voyez cette géopolitique imposée à hautes doses. Et la presse française est correctement alignée sur cette prose.

Et la géopolitique américaine n'a que faire du droit-de-l'hommisme. Quand on a un Guantanamo, qu'on liquide des centaines de prisonniers tous les ans, qu'on a envahi l'Irak et l'Afghanistan, la Yougoslavie et l'Ukraine, qu'on y manipule les Etats européens comme des toutous cafouilleurs, le droit-de-l'hommisme est une peinture d'ambulance sur un char d'assaut.

En réalité donc, les efforts de la Russie de se trouver dans le monde "libre" mais comme un bloc indépendant des Etats-Unis alors que l'Union soviétique n'avait le droit de survivre que dans la mesure de sa menace nucléaire, se heurtent à l'impérialisme américain qui ne voit pas de raison de laisser un ETat choisir une voie qui pourrait être différente de celle imposée par sa géopolitique.

Pour les Etats-Unis d'"en-haut", la Russie ne peut exister que sous la forme d'un Etat contrôlé, dont les richesses sont mises en coupe réglée par des entreprises américaines ou par des prête-noms que l'alcoolisme de Eltsine promettait à l'Amérique du millénaire passé. L'ascension de Poutine est un événement historique qui a bloqué ce projet géopolitique et que la France d'en-haut refuse de voir parce que cette intelligentsia auto-proclamée ne dispose tout simplement ni de l'indépendance nécessaire, ni de l'intelligence minimale pour le comprendre.

De ce point de vue, la principale cause de l'animosité de l'intelligentsia française à l'encontre de la Russie de Poutine tient à sa stupidité géopolitique.

Et cette stupidité géoplitique est excitée à la fois par sa servilité à l'égard de ses maîtres américains et par une vieille horreur .

Mais il existe une autre cause de l'animosité de l'intelligentsia française. C'est la richesse culturelle de la Russie de Poutine.

Poutine et son premier ministre Medvedev - mais aussi de nombreux cadres politiques - sont des orthodoxes sincères et témoins de leur foi. Leur foi est et d'autant profonde qu'elle est vécue sans la schizophrénie imposée par exemple en France par le "principe de laïcité". Il en résulte alors une convergence de forces positives socialement qui permettent à l'amalgame de populations qui habite en Fédération de Russie à la fois de recréer une russitude fondée à la fois sur la fierté d'une patrie commune et sur l'adhésion de l'orthodoxie qui écarte les ambitions et les appétits marchands, seuls moteurs de l'intelligentsia américanisée.

Or, il n'y a rien qui puisse plus dégoûter la vulgarité de l'intelligentsia américanisée, enfoncée dans un athéisme matérialiste qui lui fait confondre ses intérêts de classe avec les valeurs de la civilisation disparue qu'elle croit encore animer. Poutine et son exaltation de la patrie, ses ambitions pour ses peuples et sa volonté d'écrire une Histoire de progrès et de prospérité face au désordre, à la crise et à l'anarchie imposés par les Etats-Unis à ses satellites, tout celà dégoûte l'intelligentsia.

L'effrayante vulgarité d'un Hollande rendait palpable cette opposition entre l'intelligentsia française et la politique de Poutine. Sarkozy qui le précédat était par contre admiratif de la geste historique de Poutine qui sortait un pays du marasme. Mais, Sarkozy avec sa vulgarité américainsée s'est contenté de lui vendre deux porte-hélicoptères. IL n'a rien compris du mouvement historique de Poutine.

Macron est radicalement un banquier et il est bien plus américanisé que Sarkozy et que Hollande. Mais, à la différence de ses deux prédecesseurs, il est rusé A t'il compris qu'avec Poutine, il peut jouer une pression terrible sur Trump et sur Merkel, surtout s'il tient compte de la Chine de Xi ? Aura t'il alors assez d'énergie pour jouer cette carte ? Il est à craindre qu'il ne joue que la recherche de nouveaux marchés en zigzagant entre embargo et sanctions ou plus probablement, en se contentant de "fières paroles" ...


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