Réflexions sur les difficultés à tenir un enseignement "traditionnel"

Philippe Brindet - 01.07.2017

La presse a d'abord annoncé une descente de police dans un collège-lycée catholique "traditionnel", donc "hors contrat". Animé par un abbé traditionnaliste, l'établissement d'une centaine de pensionnaires a été immédiatement fermé par l'Administration d'Etat sur l'invocation d'abus sexuels et de violences éducatives.

Depuis, après une garde à vue, l'abbé dirigeant l'établissement a été inculpé de violences éducatives révélées par des parents scandalisés du traitement de leurs quatre enfants dans cet établissement. Aucune charge concernant des abus sexuels n'aurait été retenue.

L'aventure subie par les animateurs de cet établissement semble éclairante des difficultés majeures pour mener à bien un projet éducatif de type "traditionnel" qui s'oppose frontalement à la mentalité sociale majoritaire. On peut identifier deux domaines d'affrontements relevant de la simple discipline sociale et du contenu d'un enseignement aujourd'hui.

Les oppositions en matière de discipline

Dans la société contemporaine, ce n'est un secret pour personne, la liberté de conduite est devenue une conquête irrépressible. Surtout concernant les enfants. Ainsi, si l'envie de faire quoique ce soit vient à un enfant, la société estime qu'il a le droit illimité d'obtenir la satisfaction de cette envie. Si celle-ci pouvait le conduire à se mettre en danger, ou à mettre en danger ses proches, le devoir de l'éducateur serait de le mettre en situation de comprendre par lui-même les limites qu'il doit imposer à sa conduite. Mais, il est absolument interdit de lui appliquer une quelconque contrainte dans ce but.

Ainsi, si un enfant souhaite lancer une pierre au-dessus du pont enjambant une autoroute, l'éducateur n'a pas le droit de lui interdire physiquement de jeter cette pierre. Encore moins de le punir pour un tel acte. Par la discussion, il doit le conduire à intégrer le risque que quelqu'un passant en dessous, sur la voie rapide, soit heurté par la pierre. La qualité d'une éducation passe d'abord par celle de l'éducateur qui n'applique aucune contrainte de lui-même, mais aide l'éduquant à construire lui-même les bornes convenables à sa liberté absolue.

Bien entendu, pour la plupart des gens, il s'agit d'une parfaite sottise tandis qu'au contraire, les pédagogistes estiment que, si l'enfant est malheureusement parvenu à une telle décision, c'est parce que le système éducatif a failli auparavant.

A la différence, un système éducatif "traditionnel" - il devient de moins en moins traditionnel d'ailleurs - estime que lorsqu'un élève transgresse une règle, même implicite, il doit être puni proportionnellement à la gravité de sa transgression. C'est le système honni de la discipline qui consiste à poser des règles théoriques, notamment par des leçons de morale, puis à appliquer des sanctions graduées en cas d'un manquement constaté à l'une de ces règles.

Le bon sens fait admettre que ce système éducatif "traditionnel" est parfaitement continu à celui de la vie sociale adulte. Le meilleur exemple est celui du Code pénal. Et il existe en France plus de trente Codes contenant des centaines de milliers de règles théoriques assorties de millions de sanctions adaptées par la loi.

Or, le système éducatif moderne appliqué largement aux enfants est devenu un système simplement utopique qui s'oppose frontalement avec le système social oppressif qui règne sur les adultes. La discipline des systèmes éducatifs "traditionnels", alors même qu'elle se trouve en conformité avec les systèmes légaux pour adultes, est tout simplement rejetée par le système éducatif "moderne".

Dès lors, quand bien même l'enfant violerait une règle légale, et que la discipline traditionnelle l'en empêcherait, l'application de cette dernière est tenue pour une faute éducative majeure.

Beaucoup de gens qui tiennent aux systèmes "traditionnels" sont révoltés par la "licence" qu'ils croient reconnaître dans le système éducatif "moderne". Ils sont conduits à considérer les motivations du système éducatif moderne comme une manipulation révolutionnaire mettant en cause les fondements de la société humaine. Et pourtant, la société dans laquelle ils vivent, maintient son soutien aux "pédagogies" qui paraissent laxistes aux "traditionnels".

Dans le même temps, les gens qui estiment devoir vivre en accord avec le système éducatif "moderne" restent persuadés que la société doit à la fois poser des règles et appliquer des sanctions dont le nombre est en croissance exponentielle.

Il semble que cette opposition crée une ligne de fracture dans la société contemporaine et à tout le moins une réelle incohérence.

Cette incohérence éclate dans le cadre de petites communautés éducatives qui mettent en oeuvre un système éducatif "traditionnel". Certains parents, pourtant avertis que l'établissement dans lequel ils placent leur enfant, met en oeuvre un système éducatif "traditionnel", semblent découvrir en cours d'année un système qu'ils tiennent pour horrible et inadmissible. Il en résulte des plaintes à l'Etat qui, soutenant le système éducatif moderne, est ravi de pouvoir mettre en cause un système éducatif "traditionnel" qu'il tient pour adversaire de son système éducatif.

C'est ce qui semble s'être passé avec l'affaire de l'abbé S... Son projet n'aura pas tenu un an et il est tombé non pas à cause d'une inspection de l'autorité administrative soupçonneuse, mais à cause de la malveillance de gens qui étaient réputés lui faire confiance dans la mesure où ils lui apportaient leurs enfants dans un projet éducatif non standard et dont les caractéristiques sont bien connues.

Les promoteurs de ce genre de projets éducatifs sont donc soumis à deux risques. Le premier risque est celui de parents militants qui s'infiltrent dans le projet éductaif pour mieux le détruire de l'intérieur. A notre connaissance, ceci n'a jamais été pratiqué en France de manière publique. Il n'y a aucune affaire portée à la connaissance du public par la presse, ni d'affaire judiciaire basée sur une infiltration.

On se souvient seulement de l'infiltration d'un établissement scolaire traditionnel par un journaliste progressiste. Il en avait tiré un documentaire qui fut diffusé largement. Cette diffusion a contribué à perdre davantage la réputation des systèmes d'éducation "traditionnel".

Le second risque réside dans un échec de la discipline ou bien que les uns ressentent une sorte d'injustice ou de brimade dans une application juste de la discipline ou bien que les autres appliquent à tort une sanction établie par le système éducatif "traditionnel".

C'est plutôt ce qui semble s'être déroulé dans l'affaire qui nous occupe ici. Et cette malheureuse affaire nous inspire quelques réflexions plus larges concernant les oppositions qui se disputent l'espace contemporain.

Les oppositions en matière d'enseignement

Ces oppositions sont beaucoup plus difficiles à cerner parce qu'elles se fondent souvent sur des choses fondamentales dont il n'est pas question de débattre ouvertement au risque de tomber dans des oppositions sans fin. Par exemple, la plupart des systèmes éducatifs "traditionnels" se fondent sur des croyances religieuses. Si la chose est connue pour les catholiques, elle existe aussi pour les protestants, pour les musulmans, pour les bouddhistes.

Or, le système éducatif moderne est radicalement athée. Sa revendication de laïcité n'est le plus souvent qu'un camouflage d'une menée athée tendant à faire reculer la religion quelqu'elle soit. Il en résulte que, dans de nombreux domaines d'enseignement, les systèmes éducatifs "traditionels" subissent en permanence la suspicion de l'Etat, protecteur du système éducatif moderne.

Un exemple presque caricatural concerne les sciences naturelles dans lesquelles se heurtent le créationisme des "traditionnels" avec "l'évolutionisme" des athées. On peut ajouter un grand nombre de dossiers liés à la politique concernant les positions théoriques précurseures de l'antiracisme, de la lutte contre les discriminations concernant l'homosexualité, de la transition écologique, du développement durable ou de la lutte contre le réchauffement climatique qui, peu à peu investissent l'ensemble du champ des connaissances, obligeant à insérer, par exemple par la "transversalité", ces thèmes idéologiques dans l'enseignement général, même lorsqu'on revendique une neutralité hélas de plus en plus acquise aux errements idéologiques contemporains.

Un système éducatif "traditionnel" est il autorisé à dispenser un enseignement dégagé des idéologies qui infestent les systèmes éducatifs progressistes ? La question n'est pas si aisée à répondre. L'enseignement dit "hors contrat" est réputé assurer une telle demande. Mais dans les faits, il paraît bien difficile de soutenir la pression des activistes qui souvent s'infiltrent dans les établissements ou bien parmi les élèves ou bien parmi les enseignants.

Mais il y a un autre aspect de la question. Un élève qui serait tenu à l'écart des idéologies perverses développées par les mouvements progressistes pourrait devenir incapable de soutenir un retour dans un système d'éducation progressiste. D'autant que de nombreuses notions idéologiques infusent même un enseignement pure de connaissances par l'imprégnation médiatique et culturelle notamment. Un tel élève risque de devenir inadapté dans une société entièrement dominée par les motifs idéologiques. Il est alors repéré, entouré et contraint de répudier les valeurs qui lui auront été inculquées dans un système d'enseignement "traditionnel".

Cette considération explique largement les pertes terribles subies par les systèmes éducatifs traditionnels. On ne compte plus les personnalités qui se gaussent de leurs jeunes années passées dans de telles institutions et qui, souvent, se comportent en ennemis des valeurs qui leur ont été inculqués.

La question donc de la coexistence pacifique entre un secteur traditionnel et un secteur progressiste, pourtant vantée par les progressistes eux-mêmes, par exemple à cause de conceptions humanistes concernant le droit des parents à donner une éducation de leur choix à leurs enfants, nous semble posée.

En manière de conclusion, on peut admettre le courage et la foi de ceux sui se lancent dans la mise en oeuvre d'un systéme éducatif "traditionnel".


Revue THOMAS (c) 2017