Simplification des normes et affaire syrienne

Philippe Brindet - 27 juillet 2017

Les deux sujets n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Mais ils posent un peu les mêmes questions de méthode politique.

1 - La simplification des normes

Le Premier ministre français, Edouard Philippe a annoncé la publication d'une circulaire imposant la règle du "un pour deux" : pour une norme nouvelle, deux norms anciennes doivent être supprimées ou si grave impossibilité, simplifiées.

Selon la presse, la Grande-Bretagne de Cameron s'était lancée dans l'aventure. Si le gouvernement britannique en était enchanté, la presse économique faisait un bilan peu flatteur.

La circulaire du Premier ministre français semble comporter des règles assez précises. Mais, le champ normatif est tellement vaste que même une règle précise n'évoque pas forcément des choses bien déterminées. Toujours est-il que la réduction de la contrainte normative est une nécessité vitale pour la société moderne.

La suppression de vieilles normes paraît aller dans ce sens. Mais, je voudrais montrer que la politique de Philippe peut aboutir à une situation pire.

On sait tous qu'une norme portant sur une activité sociale déterminée est d'autant plus insupportable qu'elle contient un nombre de contraintes si élevé que presque aucune iniitiative ne peut être assumée dans cette activité sociale.

Supprimons donc cette ancienne norme et remplaçons là par une nouvelle norme qui, au lieu de comporter cent contraintes, n'en comportera plus qu'une seule. Tout le monde admettra que la nouvelle norme à une seule contrainte est bien supérieure à l'ancienne à cent contraintes. Il y a un seul problème : la seule contrainte de la norme nouvelle est ainsi rédigée :

Toute activité sociale est soumise à l'autorisation préalable du service compétent de l'Administration.

Avec une telle norme, il n'existe même plus de nécessité pour faire d'autres normes.

A l'apogée d'une telle réforme, on aurait une formulation encore plus simple :

Toute activité sociale est assujettie au paiement préalable par son auteur d'un somme d'argent suffisante perçue au profit du service compétent de l'Administration.
Cette règle unique sert à la fois de normalisation, de fiscalité et de concurrence réglementée.

2 - L'affaire de Syrie

Le journal Le Monde vient de publier un éditorial dans lequel il laisse percevoir son dépit de l'échec complet des menées américaines. Intitulé "La guerre de Syrie n'est pas finie", l'article commence par "Il n'y aura pas de changement de régime en Syrie". La première phrase sous-tend une menace et la seconde phrase exprime le dépit.

Toute la presse occidentale est dans ce ton.

Il est à la fois incompréhensible et inadmissible.

La réalité montre que s'est constitué un axe Iran - Irak - Syrie, appuyé essentiellement sur la Russie, mais aussi avec la Chine, tandis que la Turquie et l'Arabie Séoudite jouent un coup dans le camp russe et un coup dans le camp américain. Plus récemment, le Quatar a été poussé vers l'axe Iran - Irak - Syrie. Il semble ne pas pouvoir être partie prenante dans le débat, mais il va manquer à la coalition wahabite et au financement des djihadistes en Syrie. Dans le même temps, la rebellion yémenite constitue une sorte de second front régional. Enfin, Israel et l'Egypte jouent des jeux marginaux, à la fois contre la Turquie, l'Arabie et les Etats-Unis, mais aussi contre la Syrie et l'Irak de sorte que la situation est à peu près instable.

La cause principale de ce désordre mondial vient de la géostratégie américaine qui, poussée par des think tanks "progressistes", a estimée que la région du Proche-Orient était suffisamment "évoluée" pour entrer dans la grande religion de la démocratie américaine, ce curieux mélange d'athéisme et de bigoterie qui est devenue la marque essentielle de la presse occidentale.

Le seul problème, c'est que l'adhésion à la religion de la démocratie américaine n'a rien à voir avec un degré quelconque d'"évolution". L'idée même que l'Amérique serait le lieu d'une quelconque démocratie est simplement une erreur ou au mieux une illusion. En effet, les institutions démocratiques américaines sont issues d'un peuple qui doit représenter moins de 15 % des habitants des Etats-Unis et elles sont en pratique dans les mains de lobbies issus de trois secteurs de la société américaine : les universités, les entreprises et les banques qui d'ailleurs se diffusent les uns dans les autres.

Les Etats-Unis sont aussi peu une démocratie que la Syrie et les problèmes ou les avantages des Wasps, les Noirs Américains, les Natives, les Hispanos, les Asiatiques ressemblent furieusement à ceux des Alaouites, des Sunnites salafistes ou wahabbites ou ottomans, aux Kurdes, de Syrie. Quand on examine froidement les méthodes de la police américaine capable d'éliminer une touriste australienne de deux balles dans la tête alors qu'elle appelait les Urgences avec celles des djihadistes ou des forces spéciales syriennes, on ne voit pas bien la différence. Et si les quartiers de Detroit ne ressemblent pas encore à ceux d'Alep, c'est seulement parce qu'aucun service spécial n'achemine d'armement lourd auprès des minorités nord-américaines, comme le fait la CIA et ses "concurrents" américains en Syrie.

3 - Le problème que pose à la société occidentale son idéologie

Le problème de l'Occident, qu'il s'agisse de la France de Macron ou de l'Amérique de Trump, c'est qu'il agit selon une idéologie primaire. Il voit le monde et il se voit lui-même à travers des "instruments" qui réalisent une sorte de "filtre" de la réalité, un peu comme des lunettes de soleil qui vous font voir le paysage en jaune, en rouge, en vert ... Et ces lunettes déforment les objets que vous voyez.. Mais vous avez été éduqué de sorte que vous ne croyez que ce que vous voyez.

Ainsi que les carrés soient des ronds, que les prés soient d'herbe rouge, rien de tout cela n'étonne un Occidental. Au contraire, lorsque vous lui dites que les carrés ne sont pas ronds et que l'herbe est verte, il se met en colère et estime de son devoir de vous châtier pour votre inintelligence.

La norme que la France de Philippe veut simplifier ressort de cette idéologie distordue, tout comme la guerre que l'Amérique de Trump veut étendre partout. Il est très gênant de juger le monde avec des lunettes distordantes. La solution alors c'est de changer le monde, pas d'ôter ses lunettes.

Si le monde ne nous convient pas, nous avons le pouvoir de changer le monde. Voilà la grande erreur de l'Occident qui le pousse à sa ruine. Et le monde ne peut pas lui convenir parce qu'il l'observe avec la déformation de l'idéologie.


Revue THOMAS (c) 2017