Le règne de Dieu et l'Occident

Philippe Brindet - 29.10.2017

Le principe de laïcité tel qu'il est actuellement exprimé en Europe et de plus en plus aux Etats-Unis réside dans l'identification d'une sphère publique et d'une sphère privée. La sphère publique s'est dotée de la légitimité de contrôler la sphère privée et, à ce titre, décide que la religion doit être réservée à la sphère privée et que, bien entendu, elle ne peut en aucun cas apparaître dans la sphère publique.

On a ainsi obtenu deux effets redoutables. Le premier, c'est que l'Etat qui tient la sphère publique s'est arrogé un contrôle total par la loi et la police de la sphère privé et donc de la religion. Le second effet tient à ce que la religion n'a plus aucune influence sur la sphère publique.

Sur cette constation, on peut développer plusieurs observations.

  1. La fête du Christ-Roi

    Les catholiques de la forme extraordinaire célèbrent ce jour la fête du Christ-Roi. Au cours de la Messe de ce jour, on lit l'épisode de l'Evangile dans lequel Pilate demande à Jésus de confirmer qu'Il est Roi. Et ce dernier lui répond qu'il est en effet Roi, mais que son Royaume n'est pas de ce monde.

    Beaucoup de gens connaissant ce passage d'Evangile. Particulièrement les chrétiens progressistes, en déduisent que la séparation de la sphère privée et de la sphère publique et la limitation du christianisme hors de la sphère publique sont alors des choses naturelles au christianisme.

    Mais, les conservateurs chrétiens tiennent pourtant à un Règne social du Christ en tenant compte de deux impératifs : l'enseignement de la Vérité à tout homme et l'existence d'une Loi naturelle qui s'impose à tout homme même non religieux. Ils en déduisent que l'Eglise a sa place dans la sphère publique et particulièrement dans le domaine politique.

    D'ailleurs, on a noté que l'intervention d'autorités catholiques dans la sphère publique, et même dans le domaine politique, n'est pas si mal accueillie que cela. Par exemple, les déclarations incendiaires de Pape François en faveur des réfugiés du Proche-Orient et d'Afrique ont été plutôt bien accueillies par le camp laïc. Mais, l'accueil de cette fraction du catholicisme n'est favorable que dans la mesure où cette fraction du catholicisme se positionne dans le camp du progressisme. Pour un autre positionnement politique, les religions sont largement exclues. En théorie pour toutes. En pratique, pour le catholicisme.


  2. Les chrétiens présidents de la République française

    Si on récite les derniers Présidents de la République, on peut constater que ils sont tous des catholiques pratiquants ou non. De Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. Il y a seulement un doute pour Pompidou.

    Aucun d'eux n'a travaillé en faveur d'une expression du catholicisme dans la sphère politique. Au contraire. Giscard compte à son actif plusieurs lois politiques qui se dressent contre la religion chrétienne : divorce, contraception, avortement, ... Aucun d'eux n'a oeuvré pour sauvegarder les droits politiques des catholiques en tant que tels. Ils les ont contraint à adopter une position laïque en contradiction avec le christianisme sur bien des points.

    Pour réduire la portée de cette observation, il faut noter que le président de la République n'est pas un souverain. Il applique une Constitution dont l'article premier porte une déclaration de laïcité qui exclut de fait le christianisme de la sphère publique. Il fait donc ce qu'il peut. Mais il n'a pas pouvoir de changer la Constitution. Qu'on se rassure, les divers Présidents cités n'ont jamais eu l'intention d'introduire le Règne de Dieu dans la Constitution ...

    Or, dans l'Histoire, on a déjà remarqué que les persécutions religieuses modernes contre les chrétiens et le christianisme en France ont toutes été initiées par des chrétiens, souvent catholiques et encouragées par la passivité de la majorité chrétienne que l'on a depuis lors désignée comme la "majorité silencieuse". Il n'est donc pas surprenant que les présidents chrétiens aient laissé et souvent encouragé l'extinction de la chrétienté. Ils étaient et sont des membres ou des représentants de cette majorité silencieuse.


  3. Les lois essentielles portant atteinte à la foi chrétienne

    La plupart des lois de la démocratie moderne sont des lois qui ne respectent ni Dieu ni le bien-commun tel que la doctrine sociale de l'Eglise, même fortement remise au goût du monde par les efforts concilaires et post-concilaires, le définit. On a déjà évoqué les lois concernant la personne humaine : euthanasie, santé, contraception, avortement, les lois concernant la famille notamment sur le mariage, le divorce, l'éducation, la culture. Les lois économiques sont pour la plupart, en Occident, des lois qui méprisent les principes les plus fondamentaux du christianisme. A ce titre, on notera les lois concernant la rétribution du travail individuel ou le respect de la nature humaine au travail, licenciement, conditions de travail, notamment.

    La majeure partie des lois occidentales se portent en faux contre la doctrine sociale de l'Eglise aussi bien de celle issue de la Tradition, que de celle issue de l'aggiornamento exécuté par le Concile de Vatican II. Cet effet désastreux, à lui seul, établit l'échec du Concile qui, au rebours de ce que ses zélateurs ont et continuent de prétendre, n'a rien apporté au progrès du monde ni raffermi l'impact de la doctrine sociale de l'Eglise. Au contraire, celle-ci s'est - du moins dans sa pratique - remarquablement affadie, rejoignant les aspirations du monde et méprisant de manière ahurissante le Règne du Christ-Roi.

    A ce propos, l'intervention des laïcs catholiques - tant théorisée par le Concile - dans le monde politique, économique et social a été un terrible fiasco. L'Europe, qui prétend que ses "pères fondateurs" étaient des modèles de vertu catholique, est un épouvantable mélange de dictature des bons sentiments et de formalisme tâtillon technocratique et idéologique. Ce mélange a conduit à l'impuissance des fausses richesses et des trompeuses sécurités. Au niveau des Etats, pas un seul politicien revendiquant le christianisme ou même le catholicisme, ne peut être crédité du moindre apport inspiré par une quelconque doctrine chrétienne. D'ailleurs, aucun ne s'en réclame jamais.


  4. Le contre-exemple de l'Islam

    Sur le mouvement occidental d'oppression des religions, il faut remarquer qu'il vise principalement le catholicisme.

    L'orthodoxie est dans la sphère russe, sensiblement séparée du pouvoir politique. Mais, le pouvoir politique en Russie et dans la plupart des autres Etats issus de la chute de l'Union soviétique, est attentif à respecter les droits religieux de toutes les religions, y compris de l'islam, tout en en réfrenant les tendances expansionistes. De plus, l'orthodoxie est tenue en Russie comme une composante essentielle de la culture russe, de sorte qu'il n'y a pas une séparation ni un contrôle de la "religion" au sens où ils sont réalisés en Occident.

    On notera seulement que la situation est différente pour l'orthodoxie byzantine en Grèce notamment où l'Eglise orthodoxe est encore une puissance, mais de plus en plus contestée et dont l'autonomie politique est peu à peu retirée. Combien de temps les monastères du Mont Athos tiendront ils l'interdiction des femmes ?

    Pour en revenir au catholicisme, en Occident, il est soigneusement tenu à l'écart et ses fidèles ne sont acceptés dans la société civile, politique, économique, culturelle, que sous la réserve radicale de ne démontrer aucune affiliation religieuse ni de façon formelle - par exemple en confessant l'adhésion au christianisme - ni de façon fondamentale - en appliquant des principes tirés de la doctrine sociale de l'Eglise.

    Il existe encore quelques Etats dont les références chrétiennes n'ont pas encore été supprimées. On peut citer l'Allemagne et sa Constitution, la Grande-Bretagne avec son chef de l'Etat à la fois Souverain et chef de l'Eglise nationale. Il existe des traces encore aux Pays-Bas et en Italie. Et c'est à peu près tout.

    Les Etats-Unis viennent dans les dix dernières années de subir une chasse aux traces chrétiennes telle que cet Etat n'a plus aucune référence chrétienne, contrairement à la situation d'il y a dix ans. La situation est telle que le choix d'un Juge de la Cour Suprême peut être bloqué au prétexte que la dame pourrait être catholique.

    A la différence, le monde musulman est très peu "laïc" au sens de l'Occident. Les monarchies comme le Maroc ou l'Arabie sont des Etats théocratiques, ainsi que des Républiques comme l'Iran ou la Turquie. Ne parlons même pas du Pakistan ou de l'Indonésie.

    Plus encore, lorsque les musulmans s'installent en Occident - et depuis cinquante ans, ils s'y installent par millions, sans commune mesure avec les installations d'occidentaux dans les Etats musulmans - ils le font en conservant autant qu'il leur est possible les lois et les coutumes musulmanes. Certains voudraient croire qu'il s'agit de folklore. Mais ce sont des organisations religieuses de la vie laïque.

    Ceci ne laisse pas de susciter des heurts avec les autorités occidentales. On peut se référer à la querelle sur le voile islamique, sachant que s'il est interdit en France, il est autorisé au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis et que ces Etats n'admettent pas qu'il soit interdit chez des Etats même alliés.

    L'imposition du voile islamique semble à certains trop "folklorique" pour présenter un quelconque intérêt politique ou social. C'est une erreur grossière. En effet, le port de ce voile conduit à des discriminations au sens des lois occidentales. Mais l'abrutissement des occidentaux leur fait croire que ces "discriminations" font les musulmans comme victimes, alors que les musulmans les utilisent comme des discriminations à notre encontre dans notre propre territoire culturel. Nous nous désignons à l'Oumma comme des "non-voilées".

    On notera que, par le biais de la démographie et des discriminations positives, les musulmans accèdent peu à peu aux diverses classes de pouvoir dans la plupart des Etats occidentaux. Députés, ministres, maires, hauts fonctionnaires. La chose arrive aussi aux autres religions. Mais, il est fortement déconseillé à un catholique de se trouver à un tel poste et de revendiquer sa religion. D'ailleurs, il n'est plus utile de le conseiller. Plus personne ne revendique son catholicisme dès lors qu'on atteint de telles classes de pouvoir.

    On notera à nouveau qu'aucun occidental, à moins qu'il ne soit agent de son gouvernement ou d'une organisation de ce genre, ne s'installe et ne brigue le moindre poste de pouvoir s'il ne se convertit pas à l'islam. A ce sujet, on remarque que les conversions d'indigènes occidentaux à l'islam sont de plus en plus nombreuses. Il n'y aurait aucune statistique à ce sujet parce que de telles statistiques seraient en France du moins illégales. Mais on peut inférer l'importance de ces conversions par le nombre considérable de convertis pris parmi les extrêmistes exposés au public par voie de presse.


  5. La solution du multiculturalisme et le choix de l'Eglise progressiste

    La Russie démontre une position moyenne entre l'Etat confessionnel et l'Etat "laïc" qui prétend ne favoriser aucun culte. Pour ce qui est de l'Occident et de la France, la laïcité y est de plus en plus radicale, de sorte qu'elle constitue une véritable "religion" athée, ses sectateurs ne comprenant pas qu'elle fait d'eux l'ennemi de la religion la plus forte du moment, l'islam.

    Au contraire, les tenants de la laïcité les plus radicaux n'ayant qu'un seul objectif - éliminer le catholicisme - ne se rendent pas compte que leur alliance avec l'islam ne viendra jamais à bout du christianisme, mais que l'islam ne les laissera pas eux survivre. Notamment, dans les partis de gauche, la tentation électoraliste à l'égard des musulmans est des plus tenaces. Et dans les conditions d'une alliance, l'islam n'est plus alors considéré comme une religion et sa participation à la vie politique et sociale n'est plus tenue pour une atteinte à la laïcité, chose qui serait affirmée si un catholique avait la bizarre intention de former un projet politique ou social en tant que chrétien.

    Pour cacher leurs perversités, les laïcistes estiment que la société occidentale est devenue une société multiculturelle et que l'islam serait l'une de ces expressions culturelles admises. Curieusement, le catholicisme est exclu de ce genre d'arrangement qui lui serait d'ailleurs contre nature. L'islam qui n'en demandait pas tant, voit là une stratégie accélératrice de sa prise de pouvoir en Occident.

    Or, la haine des laïcards à l'égard du catholicisme est telle qu'ils préfèrent s'aveugler sur la bonhommie de l'islam ou sur leur prétention à dominer l'islam pour disposer d'un allié redoutable dans la lutte contre le catholicisme.

    Bien que la réflexion puisse paraître étrangère au sujet, il faut encore analyser la situation de l'Eglise catholique en Occident. Elle est clairement divisée en trois fractions. La fraction traditionaliste s'est levée lors du Concile Vatican II parce que la motion "aggiornamentiste" de celu-ci se portait comme ruineuse pour la Tradition. L'Histoire a montré que cette fraction traditionaliste avait raison.

    Une autre fraction qui a en fait existé avant le Concile Vatican II et qui l'a contrôlé de manière subtile - on se reportera à l'analyse lumineuse du cardinal allemand Kasper - est d'orientation progressiste. Elle vient de remporter une victoire éclatante sur toutes les autres fractions en éliminant le pape Benoît XVI contraint à la résignation. De manière cuieuse, la fraction progressiste a suscité une réaction contre ses motions depuis Jean-Paul II. Cette réaction a indirectement générée une fraction conservatrice qui, attachée à une interprétation - une herméneutique - médiane du Concile Vatican II à l'aide de la Tradition, regroupait en fait la fameuse "majorité silencieuse". Cette fraction conservatrice, bien qu'elle soit majorité, a pour longtemps perdue la partie. Et l'Eglise catholique romaine est - d'un coup, sans s'en rendre compte le 13 avril 2013 - devenue une religion progressiste parfaitement miscible avec la religion "athée" de l'Occident et avec sa laïcité.

    Débarrassant sa théologie des encombrantes théologies de l'Incarnation, du Salut, de la Charité et autres choses du passé traditionaliste ou conservateur, la religion progressiste s'est tournée vers les valeurs du monde occidental : la lutte contre le réchauffement climatique, le combat en faveur des immigrés, le dialogue fraternel avec l'islam, la lutte contre les puissances de l'argent, la promotion de l'homosexualité et autres fariboles qui plaisent tant en Occident.

    Choisissant cette nouvelle religion, l'Eglise catholique romaine échappera à la haine des "laïcards". Mais pas à celle de l'islam parce que la plupart des "valeurs" de la religion progressiste sont des horreurs en islam. Il semble donc que la conversion de l'Eglise catholique romaine, perdant tout lien avec le christianisme, mais s'attachant à l'Occident, laisse le pouvoir laïc seul face à l'expansion de l'islam.


En manière de conclusion

La fête du Christ-Roi a été instituée par le pape Pie XI dans une Encyclique de 1925 (Quas Primas). A l'époque, le christianisme était une religion avec trois confessions majeures, qui régnait largement en Occident. Il y avait des menées laïcistes, souvent révolutionnaires, en France, au Mexique, en Russie. Mais pour le reste du monde occidental, le christianisme était une puissante religion qui organisait la vie de la majorité des hommes et des femmes.

Mais, on savait déjà que la sécularisation des sociétés nationales, alors florissantes, avançait à grand pas de sorte que beaucoup des assertions de l'Encyclique de Pie XI se lisent aujourd'hui comme des voeux pieux. Le catholicisme, notamment, a été incapable de s'adapter à une situation explosive avec le drame de la Deuxième Guerre Mondiale. Et les idéologies en lutte ont eu raison de la doctrine sociale de l'Eglise. N'aurait'elle pas confondue la promesse de protection du Christ à l'Eglise avec une protection du monde qu'elle s'était associé d'une manière terriblement fausse.

Et depuis le naufrage de l'Eglise catholique romaine et le triomphe de la religion "athée" avec son dogme laïciste, les idées développées par Pie XI sont devenues sans objet aucun. Au contraire, la majorité des chrétiens qui ne se rattachent pas à la religion progressiste constitue une infime minorité. Ces chrétiens sont en effet issus des pratiquants du début du XXI° siècle. C'est-à-dire de 5 à 8 % de la population occidentale. Et de cette minorité, moins de la moitié conservent une foi en Dieu Trinitaire, et en un Christ-Roi, Sauveur du monde, mais Roi d'un Royaume qui n'est pas de ce monde.

Les chrétiens doivent dorénavant apprendre à vivre dans un monde qui leur est aussi hostile qu'il l'a été à leur Fondateur, Jésus, mort sur la Croix. Même si, pour eux, Jésus est toujours Roi. Leur mission est d'abord d'enseigner la Foi qu'Il nous a donné et ensuite, d'organiser le monde pour qu'il connaisse son Salut. Aujourd'hui, c'est l'heure de la clandestinité.


Revue THOMAS (C) 2017