Eglise catholique romaine - Entre implosion et explosion

Philippe Brindet - 16 novembre 2017 + 14.12.2017

1 - La résignation

L'Eglise catholique romaine est devenue une grande entreprise multinationale très présente en Occident et bien implantée par des filiales dans de nombreuses régions peu developpées. Elle est actuellement dirigée par un membre de la caste sacerdotale - ce qui n'est pas nouveau - mais plus précisément par le représentant d'une faction de cette caste qui était tenue en échec jusqu'alors par les deux Papes régnants précédents, Jean-Paul II et Benoît XVI.

La surprenante résignation de ce dernier s'interprète très simplement comme le triomphe de la faction progressiste qui s'est choisi Pape François sur la majorité conservatrice animée par Benoît XVI.

2 - La dualité progressiste - conservateur

Le problème de cette interprétation - qui prétend expliquer sans ambiguité la situation - c'est que, jusqu'à une époque récente, même les plus conservateurs de la caste sacerdotale, niaient avec la dernière énergie une séparation entre deux factions dans l'Eglise. Ils l'acceptaient dans la société civile, mais la niaient énergiquement dans l'Eglise. C'était notamment l'opinion du défunt Cardinal George de Chicago. Nous pensons que les dénégations des protagonistes du grand drame de l'Eglise catholique, et peut être même de l'Eglise toute entière, ne démontrent pas la fausseté évidente de cette dualité.

Or, les sacerdotes sont animés par une ambition qui date de la fondation de l'Eglise - monde, probablement lors de son alliance avec l'empereur Constantin. Cette ambition vise à aligner la culture de l'Eglise sur la culture de la société dominante. Et cette société dominante est clairement aujourd'hui celle d'une société progressiste au sens américain du terme tel qu'il est illustré dans la grande presse du New York Times jusqu'au journal Le Monde, en politique comme dans les arts. On peut dire que l'ambition progressiste est partout en Occident.

Jusqu'au pontificat de Benoît XVI, les sacerdotes avaient une position ambigue sur la question de l'alignement avec le monde. Ils voulaient comprendre le mouvement du Concile Vatican II comme une ouverture sur le monde. A partir de cette motion, la dualité apparait. Pour les uns, l'ouverture destinée radicalement selon eux à changer le monde. Autrement dit dans leur logique, de le convertir à l'oeuvre de Dieu. Le sacerdote conservateur veut christianiser le monde, le convertir, le sauver, l'amener à Dieu. L'intention du sacerdote conservateur est donc commune avec les progressistes, mais dans une direction exactement opposée : le sacerdote progressiste veut ne s'opposer en rien au monde. Le sacerdote progressiste veut changer lui-même et changer l'Eglise pour coopérer pleinement avec le monde. Cette coopération est motivée par une exigence de libération de l'homme, pour le conduire au bonheur dans sa vie terrestre, instaurer des liens sociaux compatibles avec une société progressiste, socialiste et écologiste.

Qu'il soit conservateur ou progressiste, le sacerdote se repère lui-même par rapport au monde, pris comme le centre de la vie de l'Eglise catholique romaine. Il en résulte que conservateurs et progressistes ressentent une sorte d'alliance entre eux ou bien que les uns s'y contraignent ou bien que les autres tentent de les y soumettre. Et cette alliance se fait sur le sens du monde qualifié d'ouverture par les uns et les autres. Mais, l'alliance se fonde sur un malentendu : les uns croient que le monde est à convertir, quand les autres pensent qu'ils doivent se convertir au monde. En période de "paix ecclésiastique", tout le monde fait comme si tout le monde pensait la même chose.

3 - La lutte avec le principe d'unité de l'Eglise

Malheureusement, l'alliance entre progressistes et conservateurs, même si elle ressemble à une application du principe d'unité de l'Eglise - le Credo impose : Je crois en l'Eglise Une .... - est radicalement en lutte avec le principe d'unité catholique. Cette lutte est essentielle dans l'Eglise catholique romaine, même si elle est encore aujourd'hui niée. Grâce à l'importance considérable qu'a l'exigence d'unité dans l'Histoire de l'Eglise catholique romaine, les sacerdotes pourtant adversaires ont travaillé depuis le Concile pour pouvoir coexister sans se heurter en permanence dans les institutions catholiques. Ce travail d'unification provoqué par l'alliance progressistes - conservateurs se révèle dans la soumission au pape régnant, tenu pour le Pontife Suprême, et dans le dialogue entre le pape et l'ensemble de la caste sacerdotale, souvent qualifié de "collégialité".

On notera que cette coopération a duré jusqu'au pontificat de Benoît XVI, et elle se révèle notamment par les promotions incessantes que les conservateurs ont fait des sacerdotes progressistes. Quand Benoît XVI est élu, il n'a de cesse de recevoir un ex-théologien allemand, qui a animé un mouvement puissant dans le progressisme. Il s'agit de Hans Küng. Et bien plus, Benoît XVI et Jean-Paul II ont nommés évêques, cardinaux qui étaient clairement membres du mouvement progressiste comme les cardinaux Kasper, Danneels ou Lehman. Souvent en lutte contre leur magistère.

Se réfugiant derrière ces institutions papale et concilaire, les sacerdotes qu'ils soient conservateurs ou progressistes, luttaient autant qu'ils le pouvaient contre les tendances centrifuges, séparatistes, schismatiques même parfois. Il en résulte que les conservateurs ont tenté de toutes leurs forces de retrouver les rudiments du catholicisme que le monde leur faisait échapper tandis que les progressistes tentaient d'en détourner le plus de gens possible pour rendre tout retour en arrière impossible.

Et c'est ce qui est arrivé avec la résignation de Benoît XVI, figure éminente du mouvement conservateur, éliminé par la faction conservatrice qui par des manoeuvres qui apparaissent peu à peu, parvient à la fois à nommer un pape progressiste et à le contrôler par des institutions catholiques dans lesquelles ils s'étaient engouffrés sous la protection du pape conservateur, Benoît XVI.

3 - La force de résolution de la dialogie : la Tradition

A ce propos, peu à peu, ceux qu'on avaient appelés les intégristes ou les traditionalistes dans l'Eglise catholique romaine, ont été - au sens littéralement sartrien du terme - "néantisés" par les conservateurs et par les progressistes de la caste sacerdotale. Ils n'ont pas été déclarés schismatiques au sens littéral du terme probablement toujours au titre de la contrainte d'unité extrêmement forte tant chez les conservateurs que chez les progressistes. On les a tout simplement oubliés. Ils ne gênent presque personne. Or, ces intégristes ou traditionalistes sont en réalité assez proches des conservateurs. Comme ces derniers, ils veulent eux-aussi "christianiser le monde, le convertir, le sauver, l'amener à Dieu." Mais cette volonté commune part d'un jugement radicalement négatif sur le monde.

Quand les sacerdotes conservateurs veulent s'ouvrir au monde, c'est qu'ils en ont une appréciation "optimiste". Le monde n'est pas aussi pourri qu'il en a l'air. C'est bien entendu là où les positions sont irréconciliables avec les traditionalistes ou intégristes qui jugent le monde comme celui du péché. C'est donc un monde qu'il faut châtier par la discipline ecclésiastique forgée par la Tradition. Mais, les conservateurs sont en train de découvrir que la Tradition ne commence pas avec le Concile Vatican II, un Concile qu'ils ont longtemps partagés avec les progressistes comme une Révolution rejetant la Tradition dans l'enfer d'un "ancien régime". Avec dépit, les conservateurs ont découvert qu'ils n'ont accédé à aucun "paradis". Ce dépit les pousse à redécouvrir la Tradition complète et il y a là un terrain de convergence entre les conservateurs et les traditionalistes.

4 - La casuistique dissolvante des progressistes

Ainsi, depuis peu, quand on étudie les récentes polémiques fielleusement préparées par le pape François et son équipe dirigeante progressiste, on constate que les réactions conservatrices sont maintenant largement compatibles avec les exigences traditionalistes ou intégristes. Le cas est clairement celui de la théologie morale, tel que l'illustre la polémique sur le fameux passage de l'exhortation Amoris Laetitia du pape Françoisà cause duquel il est accusé de ruiner "la loi morale objective" au profit d'une "casuistique de la situation subjective". Et cette casuistique du pape François est elle-même de nature à favoriser un alignement de l'Eglise catholique sur le monde progressiste, la technique du discernement subjectif étant largement homologue à celle de l'exercice de la raison individuelle.

Il faut concéder à ce propos que le discernement subjectif du pape François n'est pas formellement une attitude individualiste puisque ce discernement doit être conduit sous le contrôle d'un sacerdote progressiste. Mais, dans la réalité du discernement subjectif, il est clair que le sacedote doit s'aligner non pas sur une "loi morale objective" mais sur des considérations subjectives progressistes, de sorte qu'il n'a qu'un rôle d'éveilleur de la subjectivité à la vérité progressiste. Et en fait, le discernement pastoral est encore une démarche de la raison individuelle. On sait que cette raison propressiste est essentiellement dissolvante de la vérité. Mais comme le disait Pilate : "Qu'est-ce que la Vérité ?".

5 - Il est essentiel au progressisme d'éliminer les conservateurs

On voit là que le pape François ne peut en aucun cas laisser subsister une réaction conservatrice. En effet, il n'est pas possible d'imaginer que certains sacerdotes - en Pologne par exemple - ferment l'accès aux sacrements aux divorcés remariés, quand leurs voisins allemands l'ouvrent largement. Le principe d'unité de l'Eglise catholique n'y résisterait pas. Le pape François se lance donc dans une opération d'élimination du clergé conservateur.

Actuellement, il est dans une phase où il constitue les instruments propres à éliminer les sacerdotes déviants. Pour celà, il "réorganise" la Curie romaine et les Conférences épiscopales avec des sacerdotes progressistes de sorte que l'influence des sacerdotes conservateurs est nulle. Sur cette stratégie, on peut citer la mise à l'écart du Cardinal Burke, puis celle du Cardinal Müller et enfin, la mise sous contrôle du Cardinal Sarah par le Cardinal Roche. On pourrait multiplier les cas d'agressions des progressistes sur les ocnservateurs.

Il n'y a pas besoin d'exécutions publiques. Il suffit de semer un climat de suspicion et de peur dont plusieurs observateurs professionnels de la vie ecclésiastique témoignent depuis quelque temps. Les sacerdotes conservateurs se confondent en protestations d'amour pour le pape François. Mais le plus souvent, ils restent d'un silence étonnant. Parmi les enthousiastes de Jean-Paul II - la fameuse génération Jean-Paul II - ou parmi les ravis de Benoît XVI combien rappellent leurs passés ? Aucun. C'est le silence des Grandes Purges ...

6 - Un conservateur-rebelle, çà n'existe pas

Il faut reconnaître là le problème - presque ontologique - d'un conservateur. Enoncer une opposition au pape François est difficile. Et pas seulement pour le risque de perdre son poste d'archevêque ou de chef de dicastère à la Curie. Mais pour la raison ontologique qu'un conservateur ne peut être conservateur qu'à la condition essentielle de se soumettre à l'autorité hiérarchique. Ce n'est pas un manque de courage, d'autant que les conservateurs revendiquent le courage de l'obéissance. Non, le problème du conservateur rebelle c'est qu'il serait une contradiction dans les termes.

Et cela, le pape François et son équipe de sacerdotes progressistes en sont pleinement conscients. D'autant qu'ils avaient exactement la position contraire sous les règnes des deux papes précédents. Le cardinal Kasper, grand théoricien du progressisme actuel, a passé les trente premières années de son sacerdoce à lutter contre l'autorité du pape régnant, Jean-Paul II qui le nomme cardinal, puis contre l'herméneutique de la continuité de Benoît XVI qui le couvre d'honneurs.

Mais Kasper est un progressiste qui croit à l'autonomie de la raison progressiste et il n'a aucun frein à être rebelle d'un Pape ou d'une Eglise catholique romaine conservatrice puis à être soumis à un pape progressiste qu'il se forge à sa mesure. Et Kasper n'est qu'un exemple parmi cent autres, très présents chez les sacerdotes italiens et latino-américains. A l'opposé, le pape François élimine ses rebelles et ne nomme aux affaires que ses affidés. On verra là une profonde mutation dans la politique de l'Eglise catholique romaine. Quand Jean-Paul II promeut Kasper, Pape François élimine Burke ou Müller.

7 - Le progressiste vieillit mal

Il faut évoquer ici un autre aspect de la réalité politique que nous évoquons. Tout d'abord, la classe sacerdotale se rétrécit de manière accélérée. Elle se constitue uniquement sur la population des prêtres qui, en Occident, est de plus en plus rare et âgée. Et chez eux, le progressisme est en fait un conservatisme. C'est la culture dans laquelle ils ont toujours vécu puisqu'elle s'est installée avec effronterie à l'époque du Concile Vatican II. Il y a plus de cinquante ans. Les sacerdotes n'ont plus l'âge d'en changer.

En Belgique, il y a eu 7 ordinations en 2017 et les paroisses reçoivent encore 4% de pratiquants dont l'âge moyen dépasse 65 ans. En France, les chiffres ne sont guères supérieurs pour des raisons proches. Dans les diocèses catholiques de Grande-Bretagne et des USA, les chiffres sont semblables. En Allemagne, la situation est différente parce que l'Eglise y est une entreprise financièrement prospère grâce à l'impôt religieux. Mais, les désaffiliations de laïcs depuis 2013 s'y multiplient.

Il n'est pas évident que l'Eglise catholique romaine sous la férule progressiste soit viable. Elle pourrait en effet imploser sur le vide. Le pape François est loué par les média progressistes et sa réputation tient lieu de gloire à l'Eglise catholique romaine progressiste. Mais, les louanges n'entraînent aucune adhésion. Le pape François le sait qui a déclaré il y a quelque temps que l'Eglise ne pouvait être une ONG. Et alors ?

8 - Une alliance des conservateurs avec les traditionalistes conduit à l'explosion

Mais l'Eglise a aussi un risque d'explosion. Parce que les conservateurs ne sont pas écoutés, ils auront une tentation fractioniste. Ils se retrouveront entre eux. C'est déjà le cas. Mais, s'ils sont pourchassés, ils s'allieront avec les intégristes et traditionalistes dont nous avons encore très peu parlé. D'ailleurs, ils ne sont pas très présents dans la lutte entre les conservetrurs et les progressistes. Mais, si les conservateurs s'en rapproche, on peu penser qu'il y a aura alors explosion

Il est possible - et c'est le plus probable - qu'il n'y ait ni implosion, ni explosion, mais un peu des deux. La faction progressiste va peu à peu s'épuiser parce que numériquement elle ne représente pas grand chose et que son but ultime est de se fondre dans le monde. Le plus pratique pour ses membres sera de faire comme l'ont fait les Protestants. Ne plus exister que comme membres de l'Occident à "sensibilité" catholique. Mais, le catholicisme n'est pas une sensibilité ...

Les conservateurs de leur côté continueront à jouer le jeu d'une Eglise catholique unie. Ils continueront à pratiquer des rites de plus en plus effacés, sauf si ...

Il y a un "sauf si ..."

9 - Restaurer la place du Christ

Parce que, dans tout ce gâchis, il y a une question qui n'est pas encore posée : où est Dieu dans tout cette gabegie ? Les progressistes l'ont remplacé par le Peuple de Dieu. Bien. Les conservateurs l'ont remplacé par la Loi objective. Bien. Mais le Peuple de Dieu ne pratiquera jamais la Loi Objective. Parce que le Peuple n'a nul besoin de Dieu et l'Objet de la Loi n'est pas la Loi. L'homme seul qui écoute Dieu et met en pratique sa Loi est chrétien. Tout le reste est trahison.

Ce n'est pas de lutter contre "l'hérésie" en évoquant Saint Athanase et la crise arienne des années 400 qui résoudra quoique ce soit. L'homme qu'il ait été baptisé par les progressistes ou tenu dans l'"ignorance" par les conservateurs, l'homme rejeté par les intégristes parce qu'il est du monde, l'homme vrai a besoin de Dieu. Le monde lui apporte tout ce que l'humanité peut attendre du monde, rien de ce que Dieu veut pour l'homme.

Dieu veut que l'homme soit sauvé et, comme le bon larron, l'homme n'est sauvé que parce qu'il confesse que Jésus est Dieu et, alors qu'Il est l'Innocent, qu'il a été mis à mort par le monde parce qu'Il est la Vérité et la Vie que le monde refuse de connaître. Et le Bon Larron n'a eu nul besoin ni des progressistes ni des conservateurs.

Mais pour confesser la foi - parce que c'est exactement ce qu'est la foi - l'homme doit apprendre de l'Eglise qui est Jésus qui est Dieu, en quoi consiste Son innocence et notre péché, et ce que sont la Vérité et la Vie. Tout le reste n'est que l'oeuvre du démon.


Revue THOMAS(c) 2017