Des nouvelles de l'Eglise catholique romaine

Philippe Brindet - 22.12.2017

1 - L'état des lieux.

La crise de l'Eglise révélée par le Concile Vatican II a été réduite par l'action des papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais, l'échec personnel de Benoît XVI, contraint à la résignation, a relancé de manière spectaculaire la crise de l'Eglise.

Sur cette dernière, la littérature est immense. Elle se partage en trois courants comme les tendances responsables de cette crise. La littérature conservatrice est de manière surprenante retournée à la Tradition et entend conserver les enseignements de Jean-Paul II et dans une certaine mesure de Benoît XVI. La littérature progressiste, encore enamourée des foucades de Pape François, ne se retient plus d'aise, partageant ses colonnes entre la louange de ce dernier, la moquerie à l'encontre des conservateurs enfin battus et humiliés, et l'agitation - prudente autant qu'il est possible - des motions progressistes. Enfin, il y a le courant "muet", celui de la majorité silencieuse. Vaguement schizophrénique. Vaguement papolâtre. Attendant des jours meilleurs, que le progressisme de Pape François devienne enfin un conservatisme modéré, comme ils ont attendu que le conservatisme de Jean-Paul II et de Benoît XVI devienne un progressisme modéré.

Comme les trois mousquetaires, les trois courants de la littérature ecclésiastique sont quatre. Et leur d'Artagnan, c'est le courant intégriste ou traditionaliste. Comme d'Artagnan, le courant traditionaliste voulait se battre en duel avec les trois mousquetaires. En fait, il a développé des "amitiés" - vaguement méprisantes, mais amitiés occurentielles - avec chacun des trois courants. Il y a le lien implicite avec les conservateurs qui sont enfin retournés à la Tradition. Il y a un lien naturel avec la majorité silencieuse, essentiellement à cause de la papolâtrie - terme tenu pour méprisant, mais qui n'est que la référence à la déférence unique que doit le catholique romain à la personne du Pape. Enfin, il y a le line contre-nature avec le progressisme, manifesté par les négociations initiées par Benoît XVI, et poursuivies par Pape François, entre une cellule spéciale de la Curie et la direction de la fameuse Fraternité Saint Pie X. En un mot les lefebvristes.

Mais l'importance de ce quatrième courant ne doit pas être surestimée. La résistance lefebvriste n'a pas pu être "cassée" et malgré son envie d'être "reconnue", elle semble vouloir poursuivre sa vie en se tenant pour l'Eglise de toujours. Politiquement cependant, une alliance avec les conservateurs lui procurerait une certaine victoire. Mais, les conservateurs ne sont pas prêts d'abandonner le Concile, condition sine qua non, malgré tout ce qui en est dit, à un dialogue avec les traditionalistes. Ce long développement permet de bien saisir,à notre avis, la nuance entre les traditionalistes ou intégristes et les conservateurs ...

2 - Que se passe t'il ?

2.1 - Les victoires de Pape François

Il est parvenu à bien peu de choses tangibles. Il est parvenu à prendre le contrôle des Chevaliers de Malte, et celui des Franciscains de L'Immaculée. Ayant éliminé trois-quatre ratzingériens comme le cardinal Müller, il neutralise le cardinal Sarah et avec ces discours plus ou moins improvisés, il terrorise la Curie selon de nombreux témoignages.

Bien entendu, il faut encore tenir sa capacité et celle de ses "amis" qui l'ont en fait installé au pouvoir pontifical, de nommer aux postes de contrôle les affidés de la mouvance progressiste. Il y a de ce point de vue un enrichissement très net des ecclésiastiques progressistes qui peuvent maintenant placer les entreprises de leurs réseaux. Ainsi, la communication du Vatican, concédée par Pape François à des ecclésiastiques progressistes de la mouvance LGBT, est maintenant techniquement entre les mains d'un groupe de communications réputé pour son alliance avec le mouvement LGBT. On vient d'annoncer des enquêtes concernant des enrichissements suspects de cardinaux progressites.

Enfin, au plan des victoires, on peut citer le succès des agitations progressistes, menées à petits pas. La stratégie consiste à agiter une mesurette qui cache en réalité un changement de paradigme. On note aussi que chaque coup de Pape François entraîne plusieurs conséquences en faveur du progressisme.

A titre d'exemple, on peut citer le fameux chapitre 8 de Amoris Laetita, une exhortation post-synodale, réputée reprendre les travaux du Synode sur la famille. Dans ce chapitre 8, Pape François estime qu'il est "pastoral" de recherchjer des conditions dans lesquelles les divorcés-remariés pourraient accéder aux sacrements dont ils sont exclus par une sanction encore confirmée par Jean-Paul II en 1982.

La véhémence des conservateurs a été "incarnée" par quatre cardinaux âgés - deux sont depuis décédés - qui ont publiés des Dubia, des doutes concernant l'enseignement de Pape François. Ce dernier a ignoré ces Dubia, ce qui a exaspéré le courant conservateur, mais à fait avancer un peu plus la motion progressiste dans l'Eglise catholique romaine.

La manoeuvre de Pape François a eu plusieurs effets qu'il doit tenir pour particulièrement avantageux.

Tout d'abord, il méprise la fidélité religieuse des mariés catholiques en accordant - sous condition je sais - l'accès aux mêmes droits religieux des doublement fautifs des divorcés-remariés. Ensuite, il rejette de manière arbitraire l'enseignement des papes précédents, et tout particulièrement de Jean-Paul II quelques mois seulement après l'avoir désigné Saint ce qui est une façon assez méprisante à l'encontre de la sainteté canonique au sens conservateur du terme.

Mais, il y a plusieurs autres effets particulièrement dévatateurs dont certains ont été bien notés par la littérature conservatrice. C'est le cas de la ruine des principes de base de la théologie morale puisque dans son texte, Pape François érige la conscience subjective comme source unique de norme morale, de sorte que, à l'accompagnement pastoral près, chaque pécheur peut écarter une sanction canonique s'il a une conscience de bien avoir agi. Et le drame des principes, c'est qu'ils sont des principes. La chose a été puissamment développée par deux auteurs, Roberto De Mattei et Joseph Seifert, ce dernier ayant d'ailleurs été éliminé de l'institution catholique universitaire à laquelle il s'était consacré à la suite d'un dernier article particulièrement clair à ce sujet.

Mais il y a plus grave. Le fait d'ouvrir l'accès à la Communion de gens en état public de péché mortel produit deux effets dévastateurs de la religion. Le premier effet au sujet de la Communion des divorcés-remariés, c'est que les raisons "positives" qui rendent nécessaires - dans l'esprit des progressistes - l'accès à la Communion dérivent d'une conception hérétique du Christ eucharistique. En effet, chez les progressistes, la Communion est perçue comme le signe de la participation à la communauté ecclésiale. Or l'exclusion de qui que ce soit de cette communauté est perçue comme un scandale absolu. Comme le dit Pape François "Dieu n'est pas un homme comme çà pour faire cela ....". L'idée conservatrice que la Communion est un acte d'accession à la Réalité de Dieu conçue comme la Transcendance absolue n'est pas en soi niée. Mais, elle devient inutile, accessoire et pour dire le vrai, écartée.

On peut le dire. La manoeuvre du Chapitre 8 de Amoris Laetitia est un succès considérable de Pape François dans la transformation radicale du christianisme. Et cette transformation radicale se fait dans un murmure, comme en passant, sans dire rien qui fâche - sauf quelques conservateurs ratiocineurs. La majorité silencieuse n'y voit que du feu.

Dans le même mouvement, l'accession à la Communion des divorcés-remariés, pécheurs publics, est un acte profondément sacrilège puisqu'elle est accordée par l'autorité la plus haute qui a reçu la garde de la Doctrine. Peut être conscient de cette responsabilité, Pape François a utilisé une argutie. Ce n'est pas lui qui décide de l'ouverture de la Communion aux divorcés-remariés. Il renvoie cette permission à l'évêque qui a autorité sur le divorcé-remarié. Mais, on a déjà montré que cette autorisation est purement formelle puisque, à la procédure de "discernement pastoral" près, c'est la conscience subjective du pécheur qui le fait ou non accéder à la Communion.

Or, de deux choses l'une. Ou bien la Communion est Communion au Corps et au Sang du Christ dont nul ne doit s'aprocher en état de péché mortel parce que, selon Saint Paul, il y a là indignité. Ou bien la Communion est le signe de la convivialité fraternelle d'une communauté d'hommes libres et responsables, dont nul ne doit se sentir exclu. Comme un divorcé-remarié.

Les deux conceptions sont radicalement opposées. La première est celle de l'orthodoxie doctrinale reçue des Apôtres, elle est soutenue largement par le courant conservateur. La seconde est celle de l'hérésie laquelle s'est développée à l'insu du plein gré du Concile Vatican II et elle est largement portée par le courant progressiste.

Les opposants conservateurs à la décision de Pape François ne sont pas nombreux et leurs voix ne semblent pas porter au delà de leurs cercles. Particulièrement, il ne semble pas que des ecclésiastiques en charge pastorale se soient explicitement prononcés dans leur sens. On peut en être quelque peu étonné quand on sait qu'une part importante d'entre eux étaient des soutiens vocaliques de Saint Jean-Paul II et de Benoît XVI dont l'enseignement est ici durement mis en cause et rejeté.

On peut donc ici considérer la victoire de Pape François. Qu'en adviendra t'il dans quelque temps ? Combien de divorcés-remariés s'adresseront-ils aux évêques au titre du chapitre 8 d'Amoris Laetitia ? Quelles décisions seront prises au sujet des autres pécheurs publics concernant par exemple l'avotement et l'euthanasie ou encore quelels modifications de la messe seront imposées pour la mettre en "harmonie" avec la motion progressiste concernant la Communion ?

2 - 2 Une nouvelle affaire : la traduction de la Sixième demande du Notre Père

Dès qu'il estima le succès de l'opération "Amoris Laetita", Pape François lança une nouvelle offensive du même genre. Dans un premier élan, il édicte un Motu Proprio qui écarte le bureau de la Curie en charge de l'acceptation des traductions liturgiques en langues nationales. Le Cardinal Sarah, comprenant qu'il était évincé, publia une Note dans laquelle il "tirait" sur le texte de Pape François pour redonner du grain à moudre à son bureau. Il s'attira une magistrale engueulade de Pape François qui publia une Lettre qu'il lui fit la grâce de lui faire remettre par la Presse dans laquelle il lui ordonnait de désavouer sa Note en prétendant qu'on l'avait publiée à son corps défendant. Et pour faire bonne mesure, il lui expliquait noir sur blanc ce qu'il voulait. L'autre ne se le fit pas répéter, se tut et l'on pouvait penser l'affaire terminée.

Or, le Motu Proprio, intitulé "Magnum Principium" annule les dispositions d'une décision ancienne de Jean-Paul II. Une de plus. Conscient que les Conférences épiscopales décidaient de traductions liturgiques en donnant des sens parfois franchement hérétiques, Jean-Paul II avait décidé que ces traductions ne pourraient pas être publiées tant qu'elles n'auraient pas reçues l'accord de la Curie qui pouvait les modifier.

La décision de Pape François est que les Conférences épiscopales nationales décidaient librement de leurs traductions et que la Curie ne ferait qu'enregistrer la décision nationale.

Quelques semaines plus tard, les évêques français publiaient une nouvelle traduction de la Sixième demande du Pater Noster. Le texte de base est :

ET ne nos inducas in tentationem
La traduction ancienne est :
ET ne nous soumets pas à la tentation
La traduction nouvelle :
ET ne nous laisse pas entrer en tentation
Il faut ici faire deux remarques. Tout d'abord, à cause de retards propres à la Conférence épiscopale française, la traduction nouvelle avait été autorisée par la Curie selon la procédure prévue par Saint Jean-Paul II et pas du tout selon la nouvelle procédure de Pape François. Enfin, cette "nouvelle" traduction reprend une traduction tenue pour équivalente par le Catéchisme de l'Eglise édicté par Saint Jean-Paul II sur la rédaction du futur Benoît XVI.

Mais, ce qui est important de noter, c'est la raison pour laquelles les évêques français imposent aujourd'hui cette nouvelle traduction. Selon eux, certains chrétiens sont heurtés que Dieu puisse tenter un pauvre chrétien alors que - et tout le monde le sait - la tentation vient de Satan ...

Quelques jours plus tard, comprenant tout le fruit qu'il pouvait tirer de cet "argument", Pape François intervient sur une de ses télévisions en langue italienne. Et il critique vertement certaines traductions nationales notamment anglaise et italienne. Au contraire, il loue la nouvelle traduction française. Concernant la traduction du genre "ET ne nous soumets pas à la tentation", Pape François déclare froidement :

« Ce n’est pas une bonne traduction, .... Même les Français ont changé le texte avec une traduction qui dit "ne me laisse pas tomber dans la tentation”. Car c’est moi qui tombe, pas lui qui me pousse dans la tentation pour voir comment je tombe. Un père ne ferait pas cela : un père aide immédiatement à se relever. »

Or, c'est pourtant le sens du texte latin officiel du Pater Noster et c'est inclu aussi bien dans la version latine de la Bible en usage dans l'Eglise catholique romaine que dans la plupart de ses traductions. Il va donc falloir - une fois de plus - admettre que nous étions de parfaits mécréants de croire une chose pareille et que - grâce à la vision théologique profonde de Pape François - nous allons enfin atteindre une religion nouvelle débarrassée des croyances erronnées de l'ancienne. Alleluiah.

Il y a un seul problème. C'est que Pape François soit obligé de dire :

Un père ne ferait pas cela : un père aide immédiatement à se relever.

Cette assertion n'a de sens que si on admet que le Père du Notre Père de Pape François n'est pas la Première Personne de la Sainte Trinité, mais un homme que la nature a fait père d'un enfant qui se casse la figure et dont on se demande si c'est son père qui l'a poussé ... Comme théologie profonde, on a connu des auteurs mieux inspirés ... Il faudra nous en contenter.

Ou pas. Et dans ce cas, il faut une fois de plus révoquer en erreur l'enseignement de Pape François.

Sauf que pratiquement tout le monde est ravi ou indifférent. Seuls quelques intellectuels catholiques se rappellent de l'enseigenement qu'ils ont reçu et constatent bien que cet enseignement est bafoué, rejeté, trahi. Très peu d'ecclésiastiques réagissent. Mais plusieurs le font avec une grande modération alliée à une grande fermeté.

Toujours est-il que cette nouvelle menée de Pape François montre une fois de plus que ce n'est pas le même Dieu dont il s'agit. Le dieu de Pape François est un père de famille entouré de l'affection de ses enfants un peu dans le genre du Père de la théophilanthropie des années terribles de la Révolution Française. Et la "réforme" que Pape François entend conduire est un véritable changement de religion. Quand les chrétiens le comprendront-ils ?

3 - Les échecs de Pape François

Même si la presse n'en est pas très friant, il y a des échecs. Parmi ceux-ci, on peu citer l'échec complet de la commission de maïcs chargés d'assister la Curie dans la traque des abus sexuels sur mineurs. La commission vient de se dissoudre sans aucune action positive à son actif. Elle n'a produit que le départ "tonitruant" de deux ou trois de ses membres les plus vociférants.

Sur la question des abus sexuels, la vague des dénonciations se poursuit peut être avec moins de virulence. Cependant, et particulièrement dans le monde anglo-saxon, les finances de l'Eglise sont littéralement asséchées par les indemnisations accordées aux victimes. Plusieurs diocèses américains sont en failllite. En dehors du fait que Pape François voue une haine publique totale à l'encontre des abuseurs d'enfants parmi ses prêtres, quelques procès canoniques sont vaguement instruits dans le secret du Vatican. Et rien d'autre n'est fait que d'établir des commissions dans les conférences épiscopales et la plupart des diocèses qui sont en général ouvertes aux plus virulents des déchristianiseurs. Ces commissions édictent des chartes compliquées, des procédures de délation, de dénonciation de coopération avec les autorités policières et judiciaires étatiques. Nous ne connaissons rien d'autres.

L'échec dans la lutte contre les abus sexuels dans l'Eglise, particulièrement chez les prêtres et évêques, est complet.

Un autre échec concerne la lutte contre l'argent sale. Cette lutte avait été annoncée comme une priorité et largement imposée par les conventions internationales qui commençaient à dénoncer l'attitude de l'Eglise. Pape François a profondément désorganisées les institutions financières du Vatican, éliminant sans motif autre que la suspicion plusieurs responseables et strictement rien de sérieux n'a été introduit. Un cardinal très proche de Pape François vient d'être mis en cause au demeurant.

Par ailleurs, la grande opération de séduction de Pape François auprès des média semble s'essoufler. Il ne parvient à susciter un intérêt qu'à l'occasion d'extravagances généralement lorsqu'il insulte des personnalités ou des institutions ou des usages dans le monde ou dans l'Eglise. Pour le reste, son style faussement bonhomme laisse trop transparaître une anture autoritaire et arbitraire. Si sa soumissions aux principaux diktats progressistes lui assure encore une certaine sympathie - lutte contre les exclusions - essnetiellement les homosexuels, lutte contre le réchauffement climatique - l'encyclique Laudato Si - certaines de ses positions très conservatrices notamment sur l'avortement ou sur le péché

De même, plusieurs observateurs enregistrent une baisse marquée de la fréquentation populaire lors des événements publiques du Vatican où le Pape paraît. L'idée que le peuple chrétien serait particulièrement enthousiasmé par le personnage de Pape François a été vraie et excitée par les média lors de son élection de 2013. Depuis, les choses se sont calmées et il ne semble plus que le peuple se déplace autant. Sa conquête des "coeurs" porte surtout parmi les cercles étroits des activistes sud-américains et de leurs alliés américains. C'est peu. Cela semble suffir à sa gloire.


Revue THOMAS (c) 2017