Le retour du prolétariat

Philippe Jullien - 31.12.2017 + 15.05.2018

La seconde moitié du XX° siècle a vu la faillite du socialisme marxiste. La première moitié du XXI° siècle verrait le retour du prolétariat et de la bourgeoisie. Pas encore en lutte de classe, mais ...

1 - La montée des classes moyennes

Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'opposition de classes entre la bourgeoisie et le prolétariat s'est amoindrie d'une part parce que la bourgeoisie avait eu besoin des prolétaires pour faire la guerre, d'autre part parce qu'une fraction du prolétariat s'était dégagée des sujétions de son état. Ce furent les catégories intellectuelles, médecins, juristes et ingénieurs qui constituèrent une classe intermédiaire. Peu à peu, on a pris l'habitude, peut être pour faire fuir le spectre marxiste, de considérer l'émergence de plusieurs classes moyennes. L'antagonisme prolétariat - bourgeoisie s'estompait.

Dans le même temps, la désindustrialisation a réduit considérablement le nombre d'ouvriers. D'abord remplacés par les immigrés nord-africains, puis d'Afrique équatoriale, les enfants des ouvriers sont devenus des membres des classes moyennes. Ces classes moyennes leur offraient des conditions enrichies il faut bien le reconnaître sur celles de leurs parents.

2 - Le matraquage des classes moyennes

La chose a été particulièrement brutale en France. Les classes moyennes ne se sont pas aperçues que une grande part des revenus par lesquels l'économie moderne les rétribuait, revenait à l'Etat. Et ce dernier, dès la présidence Giscard, a pris une forme de plus en plus socialiste, comprenant d'abord une part d'étatisme, puis lui ajoutant une part de social-démocratie qui va l'emporter sous Mitterrand.

Il en résulte que l'Etat socialiste fournit maintenant aux classes moyennes une partie de leurs revenus que ce soit directement par les allègements d'impôt et les subventions, ou indirectement par les organismes para-étatiques, sécurité sociale, assurances et retraites.

Même si l'Etat s'est doté de moyens de production, l'Etat dispose essentiellement de l'impôt pour subvenir à l'entretien de ses classes moyennes. Et cet impôt est prélevé sur deux "populations" : la bourgeoisie et leurs entreprises. Ces deux populations ont fini par se lasser de "payer" en se délocalisant, puis en initiant un mouvement de mondialisation qui a largement dénationalisée leur puissance économique.

Il s'en est suivi deux perversités des temps modernes : le chômage et l'endettement. Le chômage touche essentiellement les classes moyennes et provient du fait que les emplois qu'elles occupaient sont partis dans d'autres régions du monde. Le chômage comporte deux réalités maintenant : l'absence de revenus, aux allocations chômage près, et le mauvais travail. L'endettement est d'abord celui de l'Etat qui paye en fait les classes moyennes d'aujourd'hui avec les impôts des classes moyennes de demain et d'après-demain ... Une jolie cause de révolution ...

Alors que les retraités sont en fait depuis longtemps payés par l'Etat, ce dernier a découvert qu'ils étaient les derniers en date à pouvoir payer des impôts. Il a donc massivement forcé leur imposition dès que leurs revenus dépassent 1.200 Eur par mois. Le salaire minimum est fixé à 1.150 Euros ... Autant dire que les finances de l'Etat sont au plus bas ... Les bourgeois ne payent plus et les entreprises sont parties.

3 - La prolétarisation

Entre chômage et mauvais travail d'un côté, impôts et baisses des allocations d'Etat - par exemple, des dépenses de santé ne sont plus remboursées et les retraites baissent - les classes moyennes ne peuvent plus épargner. Elles doivent de plus en plus se soucier de leur vie quotidienne. Certains parviennent encore à s'étourdir dans des vacances exotiques pour lesquelles trop de familles se saignent.

Mais, il y a plus grave encore.

L'Etat a mis en place une fiscalité des successions qui vide l'épargne des grand-parents et des arrière-grand-parents au profit de l'Etat. Il en résulte que peu à peu, on n'hérite plus de ses parents, heureux qu'on est quand on réussit à ne pas être tenu de leurs dettes.

En un mot, les classes moyennes qui se vivaient en bourgeoises, se réveillent prolétaires.

Le cas est flagrant pour les personnes qui ont pris les statuts d'indépendants ou d'autoentrepreneurs. Généralement, ces travailleurs sont exploités par des donneurs d'ordres qui font d'eux un prolétariat payé à la pièce comme aux heures les plus noires du XIX° siècle. Le pire semble être atteint par l'"ubérisation", dans lequel le client final, seule source d'enrichissement, est tenu par une "plateforme informatique" qui le distribue parcimonieusement sur le moins disant d'un marché qui a l'apparence d'un marché libre alors qu'il n'est qu'un marché aux esclaves.

4 - L'éveil de la conscience d'une oppression par la bourgeoisie

Dans le même temps, les gens prennent conscience de la richesse énorme accumulée par les riches, par les bourgeois. Alors qu'il y a vingt ans ou trente ans, les petits-bourgeois, les classes moyennes avaient le sentiment de pouvoir atteindre la richesse, ils sont aujourd'hui écrasés par le sentiment d'être prisonniers de leur état médiocre quand il n'est pas famélique.

Comme ils sont les derniers à se trouver dans la main de l'Etat socialiste, ils sont pressurés par un système fiscal dictatorial qui prélève leur avenir et ne leur rend rien. Ou si peu.

Cette double perception de la richesse bourgeoise d'une part et de la fragilité de leur condition d'autre part, soutient chez eux la formation d'une conscience de classe par la perception d'une oppression bourgeoise, l'Etat socialiste ayant depuis longtemps fait cause commune avec la classe bourgeoise. C'est sûrement clair dans la perception de Macron, président des riches, membre de la classe des ultra-riches de par son ancien métier de banquier d'affaires. Le bonhomme peut protester qu'il n'en est rien. L'impression demeure.

5 - Une société de privilégiés domine une masse serve

Surtout en France, et même si la Nation n'est plus un cadre adéquat pour penser la société, l'existence d'une classe qui s'enrichit toujours tandis que le reste de la population ne peut plus changer de condition et, au contraire, perçoit sa situation économique comme se dégradant sans espoir, pourrait donc nourrir un ressentiment très fort.

Actuellement, on ne ressent pas ce ressentiment ou seulement sous des formes encore faibles.

Ce qui est plus évident, c'est le caractère servile de la condition de la majorité des classes moyennes. Ils acceptent des conditions de vie souvent terribles, des vies de famille dégradées à un point tel que les jeunes renoncent à se marier.

On notera qu'en plus de salaires de plus en plus bas, les travailleurs subissent des transports dans un état indigne qu'il s'agisse des transports publics que du réseau routier. Dramatique en Ile-de-France, ces transports sont au bord de la faillite. On ne compte plus les catastrophes ni les accidents mortels provoqués par la vétusté.

Le logement est devenu hors de prix qu'il s'agisse des propriétés ou des locations.

L'entretien, alimentation et abonnements obligatoires électricité, gaz, téléphone, sont à des prix toujours plus élevés et sont de plus en plus difficiles à supporter.

Il semble cependant que le niveau de déclenchement d'insurrections provoquées par la misère ou la faim n'est pas encore atteint.


Revue THOMAS (c) 2017