Lundi 9 avril

Finalement, le livre de Pierre Lévy, World philosophie, est très bien. Il faudrait juste changer le titre en World idéologie. J'ai relevé une petite contradiction : on ne peut à la fois déclarer que la critique est aujourd'hui dépassée et conservatrice et faire la critique de la critique. C'est la limite des esprits positifs que de vouloir tout intégrer, sauf la critique. Il faut par ailleurs une certaine dose d'aveuglement pour en arriver à tenir la gratuité sur l'Internet comme l'esquisse possible d'une nouvelle forme de capitalisme (p. 73). Lorsqu'on en arrive là, on est en droit de se poser des questions. L'hypothèse de la sincérité (et donc de la stupidité), si elle ne peut être totalement exclue, semble toutefois peu plausible. On se demande alors quelles récompenses symboliques peuvent motiver un tel zèle dans l'apologie systématique de l'ordre existant.

Pourquoi ce genre d'optimisme forcé me porte-t-ilà ce point sur les nerf ? Probablement parce qu'il sonne faux et intéressé, comme le sourire appuyé de ma boulangère.

Mardi 10 avril

Je lance ma bouteille quotidienne dans le cyberespace et c'est comme d'envoyer un message dans l'espace infini en direction d'éventuels extra-terrestres. Peu de réactions, mais lorsqu'il y en a, quelle émotion !

Mercredi 11 avril

Connaissez-vous une chanson de Dylan qui s'appelle French Girl ? Elle est tirée des fameuses Basement Tapes. C'est Lonesome Pat qui a déniché ça sur le net et je crois que c'est une des choses les plus émouvantes que je connaisse. Le faux départ, la voix toujours à la limite de déraper, en équilibre instable. C'est beau comme un solo de Chet Baker.

Jeudi 12 avril

Si vous teniez un journal, auriez-vous tous les jours quelque-chose à écrire ? Je pensais que oui en commençant. J'en suis moins sûre aujourd'hui.

Vendredi 13 avril

Dans notre pauvre univers désenchanté, il ne se passe plus jamais rien les vendredi 13. Les autres jours non plus, d'ailleurs.

Samedi 14 avril

J'aime beaucoup Beck. C'est un excellent folk singer, de la veine d'un Neil Young, peut-être même d'un Dylan. J'aime bien ses trucs avec orchestre mais ce que je préfère, c'est quand il est seul avec sa guitare et un harmonica. Je viens d'entendre une reprise de "No Expatations" plutôt bien sentie.

Dimanche 15 avril

C'est le dimanche de Paques et je n'ai même plus un bout de chocolat à ma mettre sous la dent.

Lundi 16 avril

Je ne suis pas en forme et je n'ai pas envie d'écrire.

Mardi 17 avril

Deux décisions :
- prendre des vacances et me reposer
- lever la contrainte du journal quotidien et écrire quand je le souhaite

Mercredi 18 avril

Finalement, je me sens mieux depuis que le journal a cessé d'être une contrainte. Je vais peut-être continuer comme avant sur un rythme quotidien, mais ça sera seulement si je le désire. C'est la nuance.

Jeudi 19 avril

J'aime la façon dont les mots s'affichent sur une page Web. Ils sont comme suspendus derrière la glace de l'écran, des taches de lumière qui apparaissent un instant avant de disparaître. Ils sont immatériels, légers, ils se détachent de moi, bien plus libres que les traces d'encre sur le cahier à carreaux que j'utilise pour mes brouillons.

Vendredi 20 avril

Déjà !? Presque une semaine de vacances de passées. Je n'ai pas fait grand chose, mais j'ai des excuses : je suis malade et il fait un temps pourri. Je corrige la seconde partie de ma thèse.

Samedi 21 avril

Lorsque mon Internet Explorer peine à ouvrir un site, il affiche parfois, en bas à droite, " Zone inconnue ". Voilà ce que je cherche, dans le réel comme dans le virtuel : des zones inconnues.

Dimanche 22 avril

Depuis le temps que je lui demandais, Lonesome Pat s'est enfin décidé à mettre sa musique en ligne. Déjà six chansons disponibles en téléchargement. Je l'ai aidé à mettre les mp3 sur le site. C'est très long. Pour écouter aussi. J'aime bien l'idée d'avoir à attendre pour écouter de la musique, que tout ne surgisse pas (encore) en un coup d'oeil.

Lundi 23 avril

Belle page. J'aime bien les couleurs. Quand je pense qu'au début, j'avais l'impression de ne jamais venir à bout de ce que je voulais dire ! Je m'extasie sur la page, le support. Mais le médium n'est pas le message. Tenir un journal vous contraint à un moment ou à un autre à une certaine humilité. Non vous n'avez pas tous les jours des pensées profondes à partager; non votre vie n'est pas à chaque instant remplie d'événements fantastiques dignes d'être rapportés. Et puisque vous n'en étiez pas convaincu avant de commencer, le journal vous aura au moins apporté cette vérité.

Mardi 24 avril

Je vais cesser de ma plaindre. Le ciel est toujours gris mais ma crève est presque passée. J'ai fini de corriger la deuxième partie de ma thèse. Et puis j'ai quand même la chance de pouvoir écrire librement ici ce qui me passe par la tête. C'est déjà beaucoup, non ?

Mercredi 25 avril

Il y a des fascinations qui durent. Elles se transforment presque en habitude. Ainsi avec le Velvet Underground, dont je viens d'entendre des choses inédites qu'on vient de ressortir - des démos de Loaded. Il y a encore moyen de découvrir des merveilles.

Jeudi 26 avril

Super promenade à Paris avec un ami perdu de vue rencontré par hasard dans le hall de la Gare Saint Lazare.Vu plein de gens dans la foule et même quelques gens connus (Finkielkraut en train de frimer et parlant bien fort à la librairie La Hune, où j'ai trouvé le livre L'insurrection situationniste). Des gens partout, tout près, en réel : very nice. Surtout ne vous inquiétez pas pour moi. Le petit coup de déprime des derniers jours est passé. Tout va bien.

Vendredi 27 avril

Cette nuit, des hackers rigolos ont visité le site du GFIV. Apparemment, ils n'ont rien endommagé, juste laissé un message pour témoigner de leur passage. Très drôle, le Bisounours team, mais vous pourriez peut-être aller emmerder d'autres sites, non ?

Samedi 28 avril

A force de scruter les rares photographies en noir et blanc qui nous en sont parvenues, de lire les témoignages de ceux qui y sont passés dans les années cinquante, je commence à connaître l'ambiance du bar Chez Moineau. J'en ai des souvenirs, comme d'une vie antérieure. J'entends les éclats des discussions, les nouvelles de celui qui est sorti de prison, de la fugueuse qui s'est envolée; je sens le goût du vin rouge, les odeurs de hachisch; je vois le va et viens des voyous, des dealers, des filles paumées, des artistes; surtout, j'écoute les discussion enflammées du type aux petites lunettes rondes qui va bientôt former l'Internationale Situationniste. Cet endroit hors du temps, qu'a si bien décrit Greil Marcus dans Lipstick Traces, ce bar minuscule, nous sommes quelques-uns à en pousser la porte lorsque nous avons besoin de reprendre des forces et, surtout, de ne rien faire. " Dans ce lieu, écrit Debord, qui fut la brève capitale de la perturbation, s'il est vrai que la population choisie comptait un certain nombre de voleurs, et occasionnellement de meurtriers, l'existence de tous était principalement caractérisée par une prodigieuse inactivité. "

Dimanche 29 avril

Premiers essais de poésie recombinatoire.

 

 

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